https://www.youtube.com/watch?v=HhM6EozDbYI
En 1983, dans la cour du collège, fallait choisir ton camp.
Y'avait ceux qui n'écoutaient rien, juste la radio en faisant les devoirs et qui ingurgitaient Jakie Quartz, Toto Cotugno ou les Forbans.
On se parlait pas vraiment.
Y'avait les fans de Renaud, de Barclay James Harvest ou de Thiéfaine. Le plus souvent c'étaient des filles. Elles avaient l'air sûres d'elles et ells aimaient lire ou fabriquer des banderoles alors on leur foutait la paix (sauf la nuit, dans nos rêves muouillés, on les faisait crier d'amour, pas longtemps mais quand même...)
Y'avait les funkys, c'était la grande époque de Mickael J et Imagination, ils se tapaient dans la main en arrivant le vendredi matin et pareil le lundi, les autres jours ils étaient invisibles.
Les New-Waves fumaient des joints dans un coin, interdit d'approcher si t'avais besoin de chaleur ou envie de rigoler. Ils causaient de Robert Smith comme si c'était un pote à eux qu'aurait eu le bac avec mention, ce qui forçait l'admiration dans un collège poubelle d'une ex-région sidérurgique, forcément.
Les punks ils étaient quatre et tout le monde les ignorait. La trouille peut-être...
Y'avait aussi mes potes. On n'était pas nombreux mais on s'amusait bien. Genre boire des bières et faire les cons en mob au terrain de cross, boire des bières et écouter Trust, boire des bières et vomir... Y'avait Pink et Floyd, deux petits frères de hippies qui lisaient l'avenir dans Led Zep et Ten Years After, Farid qui était batteur comme Keith Moon, le gros Zuzuck qui tapait sur des barrils de lessive en écoutant "The Mob Rules" de Black Sabbath et qui voulait pas entendre parler de Keith Moon, Payot qui dormait avec Marley et Hendrix en même temps, Rude Boy qui avait piqué le surnom de son frangin parti à l'armée et la ptite Déglin qui portait des pantalons à carreaux, avec les cheveux presque blancs et ça lui allait bien... On faisait des soirées garage chez Rudy, il avait branché la platine sur le Marshall du fangin, et on écoutait Supertramp, les Stranglers ou les Clash ou Saxon et aussi Neil Young, les Specials et AC/DC et les Stray Cats... Si on avait eu les sous, on se serait payé des guitares et une batterie, mais on les avait pas les sous, pis jouer c'était comme de la magie, on connaissait pas les trucs, c'était mystérieux... Le père de Rudy nous amenait des pommes et il nous laissait foutre le bronx jusqu'à onze heures. Le matin on se retrouvait au bahut, on n'avait pas envie, on rigolait pour donner le change pis on se dispersait, histoire, maths, dessin pour les veinards.
Un soir, c'était pas encore l'hiver mais je me souviens qu'il pleuvait vraiment fort, j'étais au pieu et j'écoutais RTL. Y'avais Francis Zégut vers 23h, son émission s'appelait Wango Tango, et son truc c'était le hard rock. J'aimais bien. Ce soir là il a passé Rose Tatoo et j'étais comme un dingue et juste après, l'ami Francis il a parlé d'un groupe tout neuf, des californiens blonds et boutonneux et il a balancé là comme une bombe Metal Militia... Wouah! L'album était pas encore sorti, dans Enfer Magazine y'avait juste eu un court article qui donnait super envie mais on n'avait encore pas entendu la queue d'un accord. Le son du transistor, la gratte qu'on aurait dit un bout de bois frotté à fond la caisse sur une rape géante, le chanteur qui gueulait comme un lynx, le bruit des bottes à la fin... trop fort!!! J'ai pas dormi de la nuit.
J'ai acheté le skeud quand il est enfin sorti, siglé Roadrunner. La pochette était immonde, la photo au verso repoussante, z'avaient même pas gommé l'acné des gonzes, les californiens ça ressemblait pas à sa dans ma tête! Mais dès que j'ai posé le disque sur la platine, dès que j'ai entendu l'intro de Hit the Lights qui ressemblait à rien, si, à la fin d'un morceau normal, mais y'avait rien de normal à foutre un machin pareil en intro quoi... je suis tombé assis sur mon lit et j'ai l'impression de ne pas m'être relevé pendant au moins un an! J'étais tellement envouté par ces quatres merdeux que je remarquais même pas qu'ils avaient tout piqué à Motörhead (Le riff de Too Late Too late c'est 85% de Kill'em All je pense, mais bon j'y connais rien en solfège), ni que Lars Ulrich il était juste rapide et pas super carré, ou que les solos de gratte c'était surtout de l'esbrouffe. Non. Pour moi, c'était l'album parfait. Le truc absolu. Le son que j'avais attendu toutes les 14 longues années d'une existence sans but!!! J'ai écrit Metallica partout, avec le grand M et le grand A. Sur les arbres du parcours de santé, sur les tables du bahut, sur mon sac US, dans le dos de ma veste en jeans, sur la glacière des parents... partout! Mes potes je les gonflais à toujours vouloir leur fourguer Whiplash même au moment des slows, à dire tout le temps "c'est de la merde" chaque fois qu'ils me faisaient écouter autre chose que du speed (j'avais découvert le mot magique dans Metal Attack sûrement et je le répétais sans arrêt, comme on dit con ou putain)...Début 84, un pote qui avait une caisse m'a proposé d'aller les voir, mes chéris, à Ballard , genre 75. Paris c'était loin, j'avais pas les sous, j'étais plutôt chétif, mes parents ils étaient pas chauds mais le chaperon présentait bien, pis j'avais dit que bientôt il serait ingénieur et ça c'était comme un mot magique. Bref on s'est retrouvés là. J'ai bu quatre bières vite fait et j'arrêtais pas de roter dans la manche de mon blouson en skaï. Je me suis fait défoncer tout du long. Ils avaient l'air plus vieux en vrai, c'est ce que je me suis dit quand ils sont arrivés. Et la Flying V c'est une machine de guerre, que j'ai pensé tout de suite quand ils ont commencé à jouer. Ils ont balancé à peu près tout l'album, en commençant par Hit the Lights comme il se doit. C'était un concert punk, vrai de vrai! Pis les rappels. Sur Seek and Destroy l'émeute! Hetfield il était comme sous électrochocs, il balançait du yaourt partout. Ils ont fini avec Metal Militia et j'étais presque mort. J'ai pas trop écouté Venom qui a joué après, y'avait un peu tout qui tournait et j'avais perdu mon pote dans la bataille et j'angoissais parce que j'étais tout petit perdu parmi les freaks qui se baladaient avec des croix à l'envers, 666 sur le front, pantagrames, bracelets à clous de vingt centimètres comme des hérissons de la mort que j'imaginais plantés dans mon front si je faisais pas gaffe... Les parisiens ils étaient étranges je me disais.
On est rentrés en Lorraine, il pleuvait, 3 degrès, j'étais comme en descente. Tellement à l'ouest que pendant deux jours j'ai rien écouté. En vrai, j'attendais qu'une chose de la vie : le deuxième Metallica. Pour tuer le temps j'ai écouté Slayer, mais ils m'ont gonflé vite fait bien fait. Enfin! Ride the Lightings est sorti. Je l'ai acheté à Bruxelles, avec la belle pochette bleue (en France elle était verte et moche du coup). Et j'ai été déçu. Mais pas tout de suite. Au début, j'aimais bien mais quand même, je retrouvais pas le flash du Kill'em All. Ben ouais. Déçu pas longtemps après... puis trahi. Quatre morceaux pas mal, dont un 'For Whom the Bell Tolls' hallucinant de perfection et puis le vide. Meurtri j'étais. C'était plus mon album de rêve. C'était lent, c'était chiant, compliqué, c'était plus tout beau tout neuf. J'ai quand même continué à militer, mais le coeur n'y étais plus, l'énergie non plus, et c'est là que les punks, toujours à l'affut de l'âme en peine du teenager désabusé, ont fini par me débusquer, faisant de moi pour les années lycées le converti idéal à la promotion d'une cause déjà morte et enterrée.
Bobinas P4G is a social network. It runs on GNU social, version 2.0.1-beta0, available under the GNU Affero General Public License.
All Bobinas P4G content and data are available under the Creative Commons Attribution 3.0 license.